Rencontre avec une ambassadrice du CECI : Chantal Bernatchez, une ancienne volontaire engagée auprès des femmes burkinabè

Nouvelle | Publié: 30 mai 2017

Le plus grand regret de sa vie ? « Ne pas avoir connu la coopération internationale plus tôt ! ». Chantal Bernatchez avait 26 ans lorsqu’elle a effectué son premier mandat de volontaire avec le CECI. C’était au Burkina Faso, pays qu’elle avait découvert quatre ans auparavant dans le cadre d’un stage universitaire. L’expérience a bouleversé la vie de cette Gaspésienne qui n’a depuis jamais cessé de s’impliquer, tant auprès des femmes africaines que des jeunes du Québec qu’elle entend sensibiliser à l’importance de l’engagement. A l’occasion du Forum International 2017 qui s’est tenu en janvier à Montréal, le CECI lui a décerné le Prix Rosario Demers, qui souligne l’engagement exceptionnel d’une ou un volontaire.

Rencontre avec une femme passionnée débordante d’énergie et de projets, devenue l’an dernier membre du Club des Ambassadrices du CECI.

« A gauche, c’est Marguerite. Et à côté d’elle, Honorine et Clarisse. Et là c’est Awa…». La voix et le regard emplis d’affection, Chantal Bernatchez nomme l’une après l’autre les femmes burkinabè qui posent sur la photo illustrant la brochure publicitaire. C’était il y a plus de dix ans, près de Ouagadougou, dans les locaux de l’Association Songtaab-Yalgré (ASY), la coopérative au sein de laquelle la Québécoise effectuait avec le CECI un mandat de coopération de deux ans. Debout devant une table recouverte d’une nappe cirée fleurie, ces travailleuses arboraient un large sourire en présentant leurs nouveaux produits : des confitures à base de pulpe de karité. « Vous voyez ces sourires ? demande l’ingénieure industriel de 38 ans, après avoir évoqué, pleine d’admiration et de respect, le quotidien de ces femmes courageuses et volontaires. C’est ça, ma plus grande fierté : les voir sourire à leur réussite. Et savoir que j’ai pu contribuer à leur succès».

L’AFRIQUE, FRUIT DU HASARD

A priori, rien ne prédisposait la jeune Gaspésienne, originaire du village côtier de Grande-Vallée, à consacrer une grande partie de sa vie aux femmes africaines. Certes, avec des parents très impliqués dans le bénévolat et le monde communautaire, la jeune fille  est très tôt sensibilisée aux valeurs de l’engagement et encouragée à faire preuve d’initiative. Mais à 22 ans, alors qu’elle arrive à Montréal pour obtenir un baccalauréat en génie industriel à Polytechnique, Chantal n’a encore jamais quitté la Belle Province et n’éprouve que peu d’attrait pour l’aventure et les contrées lointaines.

C’est le hasard qui mettra l’Afrique sur son chemin. Lorsque vient le temps de chercher un stage de fin d’études, le critère principal de Chantal est la durée du mandat, qu’elle veut la plus longue possible. Le seul stage alors disponible est au Burkina Faso. Décidée à affronter sa peur de l’inconnu, l’étudiante accepte le mandat de Flash Beauté, une entreprise de Montréal propriétaire de la gamme de produits Kariderm, qui importe du beurre de karité produit par les femmes de la coopérative ASY.
Chantal se rend alors au CECI pour effectuer des recherches sur le karité, un arbre dont elle ignore absolument tout, et dévore le « Guide de l’Afrique noire » du Routard...

Un mois plus tard, emplie de préjugés et de peurs, Chantal débarque à Ouagadougou. Le choc culturel est immense. « Je l’ai pris de plein fouet se souvient l’ingénieure en souriant. Ça secoue à tous les niveaux. Mais c’est une étape nécessaire pour pouvoir ensuite s’ouvrir aux autres ».

Parallèlement à son mandat, qui est de contribuer à l’évolution des processus de production du karité pour ouvrir la voie à l'obtention de la certification biologique, l’étudiante aide à restaurer le site de production avec la somme de 1000$ qu’elle a collectée à Grande-Vallée juste avant son départ. « Peu à peu, des liens de confiance se sont créés, les cœurs se sont ouverts, de part et d’autre. Et bien sûr, au bout de trois mois, je ne voulais plus repartir ! » se souvient Chantal Bernatchez qui insiste sur le sentiment d’accomplissement et la fierté qui l’habitaient alors que les projets prenaient forme. Réalisant qu’il est possible de faire « des miracles avec peu d’argent », elle se fait la promesse de revenir.

VALORISER « L’OR VERT » DES FEMMES DU BURKINA FASO

Et quatre ans plus tard, en mai 2005, grâce à l’obtention d’une bourse, la jeune femme désormais en maîtrise à l’Université du Québec à Trois-Rivières est de retour pour mener son projet de recherche appliquée sur la qualité du beurre de karité. Elle retrouve avec bonheur les femmes collectrices et productrices de la coopérative, et apprend que le CECI, partenaire de l’ASY, cherche dans le cadre de son programme Uniterra (1) un ou une volontaire pour travailler à la valorisation du karité.

Chantal n’hésite pas une seconde. Quelques mois plus tard – le temps pour la Gaspésienne d’épouser Rasmané Ouedraogo, un tailleur styliste rencontré quelques jours après son arrivée – elle signe son premier mandat de coopération internationale. Les deux années qui suivent lui donneront « le sentiment que tout est possible ».

Dans le cadre de son mandat de volontaire, l’étudiante en génie industriel cherche avec les femmes de la coopérative de nouveaux moyens de tirer parti des fruits du karité. Surgit alors l’idée d’utiliser la pulpe pour faire de la confiture. « Nous avons mis au point deux recettes, une sans sucre, et une avec miel raconte l’ancienne volontaire. Nous produisions une soixantaine de pots par jour. Tout cela était prometteur … mais aussi très artisanal ». Convaincue du potentiel commercial de ces produits biologiques et de la nécessité de passer à une étape semi-industrielle, Chantal constitue un dossier qu’elle présente et défend durant des mois, encouragée et soutenue par les travailleuses membres de la coopérative.

En novembre 2016, quelques semaines seulement avant la fin de son mandat, Chantal apprend l’incroyable nouvelle : la Banque Mondiale donne son appui au projet Karidélice et lui octroie le prix de la meilleure innovation féminine. L’ASY décroche une bourse de 30 000 $US. L’usine démarrera l’année suivante.

L’EVEIL A L’ENGAGEMENT

Le retour au Québec en janvier 2007 constitue pour Chantal et son mari un choc tout aussi grand que celui vécu par la jeune étudiante lors de son arrivée à Ouagadougou six ans plus tôt. Les défis ne manquent pas pour le jeune couple et leur enfant, tant au niveau de l’insertion professionnelle que de l’intégration sociale, notamment en région où ils déménagent un temps. Mais même durant cette période d’ajustement, l’Afrique n’est jamais loin des préoccupations de Chantal.

Ainsi en 2009, par l’entremise de Flash Beauté, l’ancienne volontaire rencontre Chantale Arseneau. La professeure en techniques de diététique au Collège de Maisonneuve part avec ses étudiants travailler auprès des femmes de la coopérative ASY avec pour objectif de valoriser encore davantage le karité et diversifier la gamme Karidélice. Entre les deux femmes, la complicité est immédiate. Mettant en commun leur expérience et leurs connaissances, elles vont ensemble œuvrer à développer à la fois les procédés de fabrication et les produits eux-mêmes, tout en essayant de trouver de nouveaux marchés.

Parallèlement à ce travail réalisé depuis Montréal en collaboration avec les femmes burkinabè, Chantal Bernatchez poursuit son implication auprès des jeunes québécois qu’elle veut éveiller à l’engagement, une cause qui lui tient à cœur depuis son tout premier voyage africain. « Partir comme volontaire est une expérience qui a changé ma façon d’être et d’aborder les défis de la vie insiste l’ingénieure. Ça a même totalement transformé le cours de mon existence ! ».Dans les universités comme dans les écoles primaires ou secondaires (en particulier auprès des filles des filières scientifiques), l’ancienne volontaire n’hésite pas à prendre la parole pour parler de son expérience, transmettre sa passion pour la coopération internationale et inciter les jeunes à s’ouvrir aux autres et à l’ailleurs.

LE CLUB DES AMBASSADRICES DU CECI

L’an passé, l’ingénieure a rejoint le Club des Ambassadrices du CECI, qui encourage le développement économique des femmes dans le monde et vise à renforcer l’entreprenariat féminin. Depuis 2014, le Club des Ambassadrices soutient quelques 5000 étuveuses de riz au Burkina Faso, avec pour objectif d’accroître leur pouvoir économique à travers la valorisation du riz produit nationalement et par le renforcement des organisations d’étuveuses afin qu’elles deviennent des entreprises rentables et des partenaires reconnues.

«L’éveil à l’engagement au Québec, c’est important, mais il doit se faire aussi auprès des femmes du Burkina Faso » insiste Chantal Bernatchez. Ayant fait sienne la citation de l’écrivain américain Richard Bach, l’ancienne volontaire aime à rappeler qu’«il ne t’est jamais donné un désir sans que te soit donné le pouvoir de le rendre réalité ». « C’est cette approche-là que je veux apporter aux femmes burkinabè précise l’ingénieure. On peut leur offrir les moyens techniques et financiers pour les aider à s’émanciper, on peut les entourer d’un réseau, mais il faut aussi et peut-être avant tout les aider à croire en leur potentiel et leurs talents. Parce que ces femmes-là, ce sont des battantes ! ».

VERGERS D’AFRIQUE

C’est entre autre à cet objectif qu’entend répondre l’association Vergers d’Afrique, que Chantal a créé en avril 2016 avec son mari et sa complice Chantale Arsenault, également membre du Club des Ambassadrices: aider les Burkinabè à développer leur autonomie au travers d’un programme de plantation et de valorisation de manguiers, permettant de lutter contre l’insécurité alimentaire et la désertification.

A Téma-Bokin, le village natal du mari de Chantal, une association paysanne locale s’est ainsi constituée pour œuvrer à la réalisation du premier projet de ce type. « A ce jour, 500 arbres ont été plantés – des manguiers, des goyaviers et des anacardiers raconte Chantal Bernatchez. En attendant qu’ils produisent des fruits, nous avons mis en place des jardins qui mobilisent une quarantaine de femmes et qui aident à assurer la sécurité alimentaire de la communauté ». A terme, explique Chantal Bernatchez, les jardins et vergers devraient également permettre la récolte et la vente de produits frais dans les marchés locaux, voire même à alimenter des usines de transformations alimentaires. Un projet pilote que l’ancienne volontaire du CECI aimerait exporter dans d’autres zones semi-arides de la province, et, pourquoi pas, dans d’autres pays de l’ouest du continent africain.

(1) Le programme Uniterra, mis en œuvre par le CECI et l’EUMC depuis 2004, permet aux Canadiennes et aux Canadiens de s'engager durablement pour l'augmentation du pouvoir économique des femmes et des jeunes dans le monde. Il bénéficie de l'appui financier du gouvernement du Canada, par l'entremise d'Affaires mondiales Canada.

Pour en savoir plus: www.uniterra.ca

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