Les femmes vivant en milieu rural et l'accès aux ressources au Sénégal

Nouvelle | Publié: 01 novembre 2021

La commémoration de la Journée internationale des femmes rurales, le 15 octobre dernier, a été l’occasion à travers le monde de revoir les défis majeurs auxquels les femmes font face. Au Sénégal, dans la commune de Djender, la rencontre qui a réuni à Thiès plus de deux cents femmes issues du monde rural, a permis d’initier des échanges sur le thème choisi cette année par les Nations Unies, soit : « Renforcer la résilience des femmes rurales suite à la Covid-19. » Un message qui entre en ligne directe avec les objectifs du projet Voix et Leadership des Femmes (VLF) au Sénégal.

Le projet VLF-Sénégal, qui existe dans 33 pays à travers le monde, a été mis en œuvre au Sénégal par le CECI avec l’appui financier du gouvernement du Canada, par l’entremise d’Affaires mondiales Canada (AMC). Il soutient les organisations et réseaux de promotion des droits des femmes et des filles et cinq de ses vingt-cinq organisations partenaires ont suscité une synergie d’action autour des défis dont les femmes font face.

Parmi toutes les problématiques évoquées, celle relative à l’accès aux ressources a mis en exergue les inégalités auxquelles les femmes rurales sont confrontées. Ces ressources, autant matérielles et techniques que financières, constituent une condition « sine qua non » à l’atteinte des Objectifs de Développement (ODD).

« POUR UN DÉVELOPPEMENT DURABLE, IL EST PRIMORDIAL DE RENFORCER L’ACCÈS ET LE CONTRÔLE DES RESSOURCES FONCIÈRES AUX FEMMES RURALES. » M. Bocar Alpha SALL, vice-président de WILDAF/FEDDAF-Sénégal

Les inégalités notées dans l’accès aux terres sont un problème fondamental qu’il est urgent d’aborder. Cette injustice est due aux réalités socioculturelles de base selon lesquelles les terres appartiennent « de facto » aux hommes. Dans la règle coutumière, les femmes y accèdent par l’intermédiaire des chefs d’exploitations familiales qui, le plus souvent, estiment que donner aux femmes des droits d’accès fonciers pourrait entraîner une dislocation du patrimoine de la famille du fait qu'elles vont se marier et devoir se déplacer. Ces pratiques sont pourtant contradictoires à la constitution sénégalaise qui stipule que « l’homme et la femme ont le droit d’accéder à la possession et à la propriété de la terre dans les conditions déterminées par la loi. »

Au-delà de posséder une terre, la possibilité pour la femme de la conserver et de l’exploiter grâce à l’accès aux ressources adéquates et à grande échelle est aussi une problématique fréquente, constituant ainsi le cri du cœur de Mme Aidara Khadijatou Diouf, présidente du Rassemblement Sénégalais pour le Bien-Être de la Femme (RASEBEF). En effet, dans les pays à faible revenu, les femmes constituent une part considérable de la main-d’œuvre agricole et produisent la plupart des aliments consommés localement. 

En 2011, dans la plupart des pays en développement, la FAO estimait que les femmes produisaient 60 à 80 % des aliments de consommation familiale et étaient aussi responsables de la moitié de la production alimentaire mondiale. Au Sénégal, bien que la femme occupe une place incontournable dans le dispositif de l’exploitation agricole et de la production commerciale, il demeure très difficile pour elle d’avoir accès à ces terres.

« LUTTONS POUR L’ACCÈS DES FEMMES RURALES AUX RESSOURCES NÉCESSAIRES, À L’EXPLOITATION DES TERRES ET VEILLONS À LES SÉCURISER. » Mme Aidara Khadijatou Diouf, présidente RASEBEF

Exploiter les terres à travers une agriculture résiliente devient de plus en plus difficile devant la rareté de l’eau. En effet, depuis 2010, les Nations unies mettent l’accent sur l’accès à l’eau potable comme un droit fondamental, alors qu’au Sénégal comme dans la plupart des pays de la sous-région, cette denrée demeure une préoccupation pour l’ensemble des populations. En particulier celles des zones rurales qui s’approvisionnent à partir de puits et de bornes-fontaines. Le fait que la collecte de l’eau soit devenue une corvée le plus souvent attribuée aux femmes et aux filles soulève des problèmes qui exacerbent les inégalités sociales auxquelles ces dernières font face. Les longues distances qu’elles effectuent pour aller à la recherche de ce liquide précieux ont un impact négatif, non seulement sur les femmes, car elles constituent un frein à leurs opportunités économiques, mais aussi, et surtout entraînent des conséquences désastreuses sur les efforts pour le maintien des filles à l’école.

Selon Mme Anta Fall Konté, présidente du Forum des éducatrices africaines au Sénégal (FAWE), cette pratique est un gage de l’autonomisation et de l’égalité des sexes, car le plus souvent, ces dernières abandonnent leurs études au profit de cette corvée. De plus, le temps consacré au quotidien par les femmes à la recherche de l’eau devient de plus en plus exponentiel. Une étude menée par ONU Femmes, entre 2006 et 2009 dans les 25 pays de l’Afrique Subsaharienne, confirme que les femmes y consacrent 16 millions d’heures au moment où les hommes en accordent environ 4 millions. 

« LE MAINTIEN DES FILLES À L’ÉCOLE  EST UN GAGE DE LEUR AUTONOMISATION ET DE L’ÉGALITÉ DES SEXES. » Mme Anta Fall Basse KONTÉ, présidente FAWE

Par ailleurs, la pandémie de COVID-19 a engendré de lourdes conséquences sur les femmes rurales qui ont vu leurs activités perturbées, accentuant ainsi la féminisation de la pauvreté. Le projet VLF-Sénégal a contribué aux efforts de riposte contre la crise sanitaire à travers l’opérationnalisation de ses fonds rapides et réactifs (FRR), levier de financement parmi trois autres qui permettent d’appuyer les projets ponctuels des organisations au niveau national.  Ils ont permis de financer plus de 40 initiatives d’organisations de femmes sur l’ensemble du territoire national à hauteur d’environ 185 millions de francs CFA sur deux phases. La deuxième a même fait l’objet d’un ajout budgétaire de 171 millions de francs CFA de la part du Gouvernement du Canada. 

Ces projets financés ont remué la sensibilisation, l’aide humanitaire, le renforcement et la relance économique ainsi que l’accompagnement psychosocial des femmes personnelles de santé en plus de la prise en compte de la Violence Basée sur le Genre (VBG). La contribution du projet a aussi adressé le plaidoyer pour l’implication des femmes dans les instances de prise de décision pendant la pandémie, notamment dans le groupe de riposte chargé de la gestion du fonds COVID-19 mis en place par l’État du Sénégal. 

Selon Mme Binetou Fall, coordonnatrice des programmes de l’Association Rurale de la Lutte contre le SIDA pour le Développement Économique et Social (ARLS/DES), une bonne partie de ces initiatives qui ont permis la relance économique des femmes en milieu rural et mis le leadership des femmes au cœur des interventions devrait se focaliser sur le volet politique pour leur donner accès aux instances de prise de décision. 

 « LE RENFORCEMENT DU LEADERSHIP POLITIQUE FÉMININ  POUR L’ACCÈS AUX INSTANCES DE DÉCISION ET L’AUTONOMISATION FAVORISENT LE BIEN-ÊTRE ET L’ÉPANOUISSEMENT DES FEMMES RURALES. » Mme Bintou Fall, coordonnatrice des programmes, ARLS/DES

Il est certes important de noter que l’État du Sénégal a fait des efforts pour l’épanouissement de la femme rurale en mettant en place des initiatives d’appui à leurs préoccupations, dont les Fonds de Garantie des Investissements Prioritaires (Fongip). Toutefois, force est de constater que les défis demeurent énormes, rendant pressante la budgétisation sensible au genre ; car la révision de la nomenclature budgétaire pour la prise en charge du genre est pressante. L’attribution des bourses pour toutes les femmes rurales en plus d’un quota de terre ainsi que des ressources productives constitue une solution à préconiser. Même si la loi n’est pas discriminatoire dans l'accès aux ressources, l’État a le devoir de mettre en place des mesures d'accompagnement dans le but de rétablir les inégalités qui existent dans la pratique.

Le financement notamment à travers l’offre de produits et services de finances inclusives qui ciblent les populations les plus démunies ou vulnérables, en milieu rural et périurbain, constitue l’une des solutions à préconiser. Pour les organisations internationales y compris celles dans le secteur privé, l’augmentation des appuis financiers aux femmes du monde rural devait être une priorité de même que l’allégement de la procédure d’attribution de ces financements. C’est là le fort plaidoyer de Mme Dieynaba Sidibé, présidente du Directoire National des Femmes en Élevage (DINFEL).

« FACE À LA COVID-19, MOBILISONS LES FEMMES RURALES  POUR DES PROJETS DE RÉSILIENCE. » Mme Dieynaba Sidibé, présidente DINFEL

Quant aux organisations de la société civile, elles devraient mettre en place des dispositifs de dialogue entre les différentes parties prenantes stratégiques tels les chefs coutumiers, religieux et les leaders d’opinion ; travailler en synergie pour aller vers les cibles du plaidoyer et surtout favoriser le renforcement du leadership des femmes rurales. En définitive, pour résoudre le problème des femmes et des filles et faire entendre leurs voix, toutes les parties prenantes doivent travailler en synergie afin de leur permettre de jouir pleinement de leurs droits.     

Mme Dieynaba Diémé
Stagiaire en appui au plaidoyer du projet VLF-Sénégal et membre du collège des jeunes Women in law and development in Africa (WILDAF/FEDDAF)
 

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